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Heures blanches
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Heures blanches
Années 70…  sortir avec l’appareil photo et déambuler en ville dés qu’il fait beau. Regarder, saisir des évènements insignifiants comme cette petite pousse d’herbe qui a réussi à s’extraire d’une fissure dans l’asphalte, au pied d’un pilier métallique. Puis, lever les yeux pour observer ces murs ordinaires, déjà longés maintes fois. Photographier alors des frontons perdus dans les nuages…
Mais, à la sortie du labo, cela donnait alors des images fades, sans relief et sans contraste. Pourquoi un ciel aussi pur et limpide à la prise de vue devenait-il aussi plat et peu contrasté sur le tirage ? En réponse, on me suggère alors de mettre des filtres sur l’objectif. L’essai est concluant : effectivement, avec un filtre rouge, le ciel apparaît alors identique à la réalité, dense, avec des nuages aussi joufflus que ceux peints par Magritte.
 
Ce filtre rouge restera fixé sur l’objectif jusqu’à ma dernière photo argentique. Car, outre le relief apporté aux nuages, dés la prise de vue il me permet de voir dans le viseur l’image finale en noir et blanc…Ou plutôt un camaïeu rose qui, gommant les couleurs, me donne alors  l’impression d’être dans l’image, pour la composer avec précision en jouant avec les plages de gris. Cette possibilité d’éliminer immédiatement le « superflu » conduira à des images de plus en plus dépouillées, comme ces quasi-monochromes (parfois appelés « Pelles), partagés verticalement en deux surfaces identiques , le plein minéral et le vide de l’azur infini. Chaque fragment de mur s’assombrit vers le bas alors que le ciel, très clair sur l’horizon, est de plus en plus foncé quand le regard monte vers le zénith, en haut de l’image. Ainsi, la ligne de partage des plans disparaît par moment, à l’endroit où ces plans sont composés d’un gris identique. Devant le mur, in-situ,  je peux donc choisir la place de ce « point de fusion », en bas de l’image (comme pour la « Lune de Montessuy »), au milieu ou parfois en haut.

En 1986, lors des Rencontres arlésiennes, je fais la connaissance de Wolfram Janzer, un architecte/photographe vivant à Stuttgart. Très intéressé par mon port-folio, il m’affirme que mes photos lui rappelle vraiment ses propres recherches. Il évoque alors une exposition de Geneviève Asse qu’il vient de voir à Paris. Quand je découvre plus tard l’oeuvre de cette peintre bretonne, je constate effectivement qu’elle et moi, on parcourt d’une oeuvre à l’autre la même figure verticale partagée en deux. A plus grande échelle, les espaces de G. Asse sont composés de bleus subtils, alors que dans mes photos, ce sont des plages de gris qui sont délimités par la ligne de partage. Dans tous les cas, ces compositions presque abstraites révèlent des lumières captées pour construire des espaces de silence.

Plus tard, profitant d’un passage à Bologne, j’ai retrouvé ce silence dans les natures mortes de G.Morandi, au musée qui lui est consacré. J’apprécie également Rothko, Frédéric Benrath ou Barnett Newman. Chez Soulage, j’aime pouvoir immédiatement situer, à sa seule vue, une oeuvre dans son parcours, oeuvre de jeunesse ou plus tardive. Dans ce cas l’évolution de l’oeuvre traduit le parcours d’un artiste creusant obstinément son sillon toute sa vie, en trouvant à chaque pas une suite quand tout le monde est convaincu qu’il débouchera sur une impasse.

Mon musée imaginaire est ainsi  largement occupé par la peinture abstraite, alors que j’ai toujours été convaincu que le dessin constituait ma pratique de prédilection. De bonnes notes en dessin antique, à l’adolescence, à la maitrise des perspectives architecturales dans un cadre professionnel, j’ai toujours montré une aptitude certaine à reproduire fidèlement la réalité, avec l’impression cependant de ne pas arriver à y insuffler une vision personnelle originale. Paradoxalement, c’est la photographie, qui a pourtant la réputation de reproduire platement cette réalité, qui m’a permis d’exprimer un univers personnel. Je considère donc maintenant que je réalise des dessins avec un appareil photo. Même la présence du grain conforte cette impression picturale, alors qu’il est issu d’un choix de révélateur qui devait me permettre de tendre vers un processus le plus lent possible dans le labo. Cette place consacrée au temps était également prolongé par de longs moments passés à retoucher mes tirages, alors que la photographie exprime habituellement la vitesse (…Quand une photographie au 1/1000ème est tirée sur papier Ilfospeed).

Pour être bien équipé, on m’avait également conseillé d’avoir trois objectifs : un grand angle, une focale moyenne et un télé objectif, ce qui fût le cas dés le début. Un jour pourtant, voulant changer d’objectif pour prendre une corniche du Palais de la Foire en contre-plongée, mon grand-angle m’échappe des mains et chute. Brisé et irréparable. Son absence ne m’a pas manqué. A l’usage, il s’est même avéré superflu. Par la suite, toutes mes photos ont donc été réalisées uniquement avec un objectif de 90 mm, ce qui a sans doute conforté l’homogénéité et la cohérence de mon parcours photographique.

Dans ses mémoires, une galeriste parisienne affirme « Ce qui différencie vraiment les photographes, c’est ce qu’ils voient ». Effectivement, un jour, après avoir fait une photo et marcher quelques pas, en me retournant, j’aperçois plusieurs personnes qui se contorsionnent en tous sens pour tenter de voir ce que j’ai pris en photo (… inquiètes d’une anomalie non règlementaire ?).

Un autre photographe m’a aussi affirmé qu’une photographie doit être entièrement composée d’un dégradé de gris, à l’exclusion du blanc et du noir total. A l’inverse, ce docte conseil m’a alors plutôt incité à intégrer dans mes images des éclats de blanc pur, une lumière crue comme celle que l’on trouve dans certaines peintures de De Chirico ou des romans d’Albert Camus. J’appréciais cette ambiance surréaliste que j’ai également tenté de traduire avec des vues d’édifices Art Déco, comme le TNP et les gratte-ciel de Villeurbanne. J’ai toujours été fasciné par la capacité de ces bâtiments des années 30 à capter avec subtilité la lumière naturelle.

Au détour du siècle, j’ai néanmoins dû renoncé à la prise de vue telle que je la pratiquais depuis plusieurs décennies, en arpentant les rues au hasard pendant des heures. Victime d’une maladie neurologique qui me posait des problèmes d’équilibre quand je regardais à travers l’oeilleton de l’appareil photo, ou pour extraire les tirages des différents bains dans le labo, j’ai dû interrompre alors ma production argentique.

Mais, quelques temps plus tard, ma quête de lumières remarquables s’est néanmoins poursuivie avec un appareil numérique. En visitant des expositions, dans les musées et les Centres d’Art , sensible à la qualité spatiale de ces lieux, mon attention est souvent attirée par leur ambiance lumineuse quand elle est soulignée par les rayons du soleil.  Maintenant, je me munie donc  toujours de mon appareil quand je visite un musée et je regarde attentivement les murs et les cimaises entre les oeuvres, au dessus ou plus loin. Ainsi, cela reste un plaisir de capter, l’espace d’un instant, une lueur fugitive.

                                                                            Y.H. Février 2021